Procuste - Pour une psychanalyse scientifique (XI)

Fernando de Amorim
Paris, le 30 octobre 2023

Il y a, à la sortie de psychanalyse, un rapport du sujet avec le Réel qui n’est pas celui qu’ont les personnes qui n’ont pas fait de psychanalyse (de l’être jusqu’à l’être castré) selon ma « Hiérarchisation de l’être au sujet barré », ci-dessous :

être – être vivant – être humain – être survivant – être qui vivote – être qui vit – être parlant – être castré… (sans psychanalyse)

                                              …être barré – sujet – sujet barré (avec psychanalyse)
                                                          (α)         (β)         (γ)

Il est habituel d’entendre de la bouche de ceux qui ont fait une psychanalyse et qui rencontrent un camarade des années plus tard, de telles formules : « Tu n’es plus le même ! », « Vous avez changé ! », « Tu n’es plus la même personne ». Ce changement correspond au fait que la barre de la castration a traversé l’être, son Moi et, dans le cas du psychanalyste, son sujet.

La psychanalyse vise la construction du rapport de l’être avec le signifiant, elle ne vise jamais le signe. Le signe, le signe clinique, le symptôme, le syndrome (je pousse le bouchon jusqu’à la maladie organique) sont des concentrations de libido. Une fois que des canaux créés grâce à la cure, la libido circulera et le signe et les autres manifestations cliniques citées ci-dessus n’auront plus raison d’être. L’être s’engagera à investir sa libido dans la construction de sa responsabilité de conduire aussi sa destinée. C’est, à la sortie de psychanalyse, la position de sujet. C’est la prédiction du psychanalyste. Si le sujet décide autrement, cela n’engage plus la psychanalyse.

Il faut dégager la psychanalyse de sa peau médicale, psychiatrique, tout en la traitant comme partenaire pour que l’être devienne sujet. La guérison en médecine n’est pas la fin du traitement. La fin du traitement médico-chirurgical est le début du traitement psychanalytique – pour les malades de médecine et de chirurgie, j’entends. Cette manière d’écrire vise à mettre en évidence que la psychanalyse peut travailler avec la médecine à condition que le médecin sache où se trouve sa limite opératoire.

Lacan n’a pas d’autorité pour dire que la psychanalyse n’est pas une science car, pour affirmer ou infirmer cela, il faut être dans l’arène. En abandonnant sa psychanalyse personnelle, il n’a pas voix au chapitre. Popper n’y a pas davantage accès. Il n’est pas clinicien, il n’est pas psychanalyste, il n’est pas psychanalysant. Cela fait beaucoup de critères défavorables pour qu’il soit crédible concernant la psychanalyse. Pour lui la psychanalyse n’est pas une science mais peut être un programme de recherche. Cela frôle l’insulte. La psychanalyse ne propose pas une recherche avec l’être, elle (la psychanalyse) met l’être au travail de construction de sa responsabilité de conduire aussi sa destinée. L’objet de la psychanalyse n’est pas un objet inanimé ou microscopique, c’est un être pris dans les filets de l’Œdipe, des organisations intramoïques et du Moi parental. La visée d’une psychanalyse n’est pas une publication dans une revue scientifique, elle vise à ce que l’être puisse être content, ou moins malheureux, ou qu’il soit capable de supporter d’être en vie puisque, s’il est en vie, tel est son désir, désir qu’il ignore. Enfin, ce n’est pas le psychanalyste qui rend publics les effets scientifiques de la psychanalyse, c’est le psychanalysant. C’est ce que je fais dans ces lignes.

La psychanalyse ne recherche pas, elle ne trouve pas non plus, car l’objet n’est pas caché sous le tapis mais elle permet l’élaboration, la construction car tout (la position de responsable d’être sujet) est encore à construire.

La visée d’une psychanalyse n’est pas de trouver, puisque l’être n’est assis sur rien ; le rien est son objet princeps. Les autres objets, freudiens et lacaniens, sont des objets fondamentaux.

Une psychanalyse ne trouve pas parce que l’objet n’existe pas. Elle, la psychanalyse, construit, construit à partir du rien de l’être : il est orphelin, homo, noir, aristo, son père est un voleur, assassin, palestinien, juif, il lui manque deux bras, il ne parle pas… et j’en passe. Pas de problème. En rencontrant le psychanalyste, en commençant sa psychanalyse, la visée est qu’il devienne sujet, qu’il se castre de son passé. La visée d’une psychanalyse est que l’être, qu’il soit arabe ou trans, qu’il soit schizophrène ou extrémiste, puisse construire sa responsabilité de conduire aussi sa destinée avec la structure qui est la sienne et non avec celle de l’Autre non barré.

Depuis la seconde partie du XXe siècle, il est su qu’il faut renoncer à une méthode scientifique rigide. C’est d’une absurdité immense que d’exiger une scientificité de la psychanalyse basée sur des critères propres à l’étude de l’atome ou de la bactérie. Le champ scientifique de la psychanalyse se soutient de la rigueur de la conduite de la cure dans l’usage de la méthode et des techniques qui lui sont propres. La visée est que l’être pris dans une structure névrotique, psychotique ou perverse qu’il a choisi dans son enfance puisse devenir sujet et qu’il ne souffre plus de son symptôme tout en naviguant dans les eaux de la structure qui lui est propre (Cf. Carte des trois structures). Une telle logique montre l’absurdité des diagnostics figés, numérotés, au nom d’une fausse science (DSM, CIM et d’autres). Mettre une étiquette à un être ne le rend pas humain.

La robustesse de la psychanalyse vient des conduites de cures qu’elle assure depuis Freud sans couler et sans prendre une ride. La psychanalyse n’est pas disposée à vendre père et mère pour être estampillée en tant que science. Elle ne fait pas de simulation par ordinateur, elle ne fait pas non plus de statistique. Elle ne fait pas de simulation parce que le Réel passe sans crier gare. La cure se déroule au moment de la séance, au moment de la parole… qui ne sera plus l’instant d’après. Il n’y a pas de possibilité de rejouer le match d’une vie humaine. Une fois dit, c’est dit ; une fois perdu, c’est perdu. La psychanalyse ne fait pas de statistique puisque l’être est unique, radicalement unique. La psychanalyse fait science avec la méthode verticale, avec l’être à son entrée en psychothérapie et l’être à la sortie de psychanalyse et non de manière horizontale, en comparant l’être avec son jumeaux qui, soit dit en passant, est radicalement différent de lui.

La science est une exigence de rigueur pour le scientifique comme le clinicien, et non un lit de Procuste pour les deux.

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