IVG

Fernando de Amorim
À Paris, le 29 février 2024

Il faut d’abord mettre en évidence que le nombre d’IVG – interruption volontaire de grossesse – a augmenté en France, pour atteindre un total de 234 300 en 2022[1]. C’est beaucoup trop.

Il est possible de penser, de réfléchir, de parler et de faire ce qui est dit, quand le Moi, cerbère des organisations intramoïques composées de la résistance du Surmoi et de l'Autre non barré, est à sa place.

Ce principe démocratique de base protège et prépare l’esprit humain à se mettre au travail de lecture et de mise en tension de son rapport au Réel.

La nuit dernière, le Sénat a adopté la loi qui inscrira dans la Constitution, selon le Garde des Sceaux, « cette liberté pour les femmes de disposer de leur corps ».

C’est une première mondiale et je pense que cette loi, comme la Révolution française, produira des émulations partout ailleurs. C’est une excellente idée, mais cela ne signifie pas – loin de là ! – que les femmes auront la liberté de disposer de leur corps, car pour disposer de son corps il faut d’abord établir avec lui une relation d’amour. Les filles ne sont pas éduquées à s’aimer.

Une IVG ne touche pas le corps des femmes mais leur organisme. Qu’il s’agisse d’une IVG médicamenteuse ou instrumentale (chirurgicale), il s’agit d’un moment désagréable, voire douloureux, qu’il est préférable, si on s’aime, d’éviter. De là l’importance d’apprendre le plaisir sexuel sans passer par le regret d’avoir eu du plaisir.

Une IVG est un acte qui laisse des séquelles organiques, corporelles et psychiques. Il me semble important de ne pas se contenter de cette loi, importante pour les enfants fruits d’une relation non désirée ou non consentie, mais surtout de préparer les femmes à apprendre d’abord à aimer leur corps et leur apprendre à mettre en évidence la prévention, surtout l’usage du préservatif chez l’homme car, si l’homme jouit et peut-être la femme aussi, c’est cette dernière, seule, qui subira l’IVG.

Il faut apprendre aux femmes à ne pas céder aux demandes insistantes de leurs partenaires, surtout celles émanant du Moi grossier qui veut copuler sans préservatif « parce que cela les gêne » ou « parce que ce n’est pas drôle ». Une IVG n’est pas drôle non plus.

La quantité de femmes qui se soumettent à une IVG parce qu’elles ont cédé à la demande de l’autre est énorme. En d’autres termes, les femmes ne sont pas libres de disposer de leur corps, tout comme elles n’en sont pas responsables non plus.

Être responsable d’un corps, c’est prendre soin de son corps de femme, du corps de l’autre, qu’il s’agisse d’un partenaire (ici de son amoureux ou son amoureuse), d’une patiente (ici un médecin ou un psychanalyste) ou d’un enfant (ici une mère ou un père).

Les femmes ne sont pas responsables de leur corps, parce que les filles ne sont pas éduquées à aimer leur corps, à connaître leurs mouvements physiologiques – masturbation, menstruation, relation sexuelle, la naissance de son être, de sa sexualité, de la séduction – et leur responsabilité de prendre soin de ce qui n’est pas à elles, ni à personne.

Le mec – je nomme ainsi le Moi indélicat – grossier voire abruti, pris dans une logique imaginaire et justifiée par son idéologie religieuse, fait du corps des filles l’objet absolu de sa jouissance. Quand une fille est éduquée de manière haineuse, la voie de l’IVG n’est plus qu’une voie logique.

Il est donc important que les femmes puissent avoir le droit à l’avortement non pour elles mais bien pour l’être qui risquerait d’être mis au monde sans que ses parents puissent avoir le désir qu’il soit là.

En revanche, le problème des femmes n’est pas, une fois de plus, examiné.

Quand les filles seront éduquées à être heureuses d’avoir leur beau sexe, de tirer le plaisir de jouir de leur corps féminin, il ne sera plus nécessaire de pénétrer la Constitution d’une loi qui les autorise à se faire avorter. Il est préférable de tomber enceinte quand les conditions sont au rendez-vous, à savoir : le désir de devenir mère, le désir de devenir père, le désir d’être parmi nous pour l’enfant. Hors de ce registre, que le plaisir et la jouissance se limitent à l’instant de la rencontre des corps. Impliquée pour toute une vie, la venue d’un être qui ne serait pas bienvenu, à entendre comme aimé et respecté, justifie l’avortement.

En commençant mon exercice clinique en pleine période VIH, j’avais proposé que « dans le cas du SIDA, la thérapeutique est la prévention », c’est-à-dire l’usage du préservatif. J’élargis cette formule aux rencontres sexuelles sans avenir choisies par les femmes.


[1] Ministère du Travail, de la Santé et des Solidarités, Direction de la Recherche, des Études, de l’Évaluation et des Statistiques (DREES), Études et Résultats, septembre 2023, n° 1281, consulté le 29 février 2024 (pdf).

Commentaires

  1. Je vous remercie pour cette brève et je vous rejoins sur tous les points évoqués, notamment sur le fait qu’il serait très lourd de conséquences de laisser une femme porter une grossesse dont elle ne voudrait pas.
    Sur le droit qu’une femme puisse disposer de son corps, j’ajouterai à condition que son corps soit constitué. Dans la clinique, certaines psychanalysantes sur le divan découvrent qu’elles ont un corps, et que ce n’est qu’à partir de ce moment-là qu’elles peuvent prendre soin de lui. Ainsi, avoir un corps suppose d’en être responsable et d’en prendre soin.
    Une prévention n’a d’effet que si le corps est constitué. Il se constitue par le langage dès la naissance, par la parole de l’Autre barré en le nommant, en le chérissant, en le considérant avec respect.
    Une femme qui depuis petite est niée dans son corps par les mauvais traitements qu’elle subit ne prendra pas soin de lui parce que son corps n’existe pas et pourra continuer à le maltraiter. Cela n’est pas nécessairement du registre de la psychose, mais du côté du Moi aliéné par l’ignorance et la souffrance.
    Des jeunes femmes ont des relations sexuelles non protégées par ce qu’elles restent dans l’ignorance qu’elles peuvent tomber enceinte dès la première relation sexuelle sans l’usage du préservatif ou de la pilule. Elles doivent apprendre à refuser les avances d’un homme qui leur chante que sans préservatif c’est mieux et penser comme l’écrit Amorim, qu’elles subiront seules les conséquences dans leur organisme en cas de grossesse.
    Combattre l’ignorance, commence dès la naissance, en éduquant et en instruisant une jeune fille sur tout ce qui touche à son corps y compris l’instruire sur le fait que ce corps peut être objet de désir et de séduction pour un homme. Cette éducation depuis le plus jeune âge participe d’une sexualité responsable et plaisante puisqu’il n’est pas plaisant pour une femme de prendre des risques, il n’est pas plaisant de courir pour se procurer une pilule du lendemain, il n’est pas plaisant de devoir recourir à un avortement.
    Enseigner à une jeune fille que sans préservatif et sans pilule contraceptive les conditions sont réunies pour qu’elle devienne enceinte, lui enseigner que la pilule du lendemain n’est pas un moyen de contraception et comporte également des risques de grossesse.


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