Psychanalyse et science (β) - Fluctuat...

Fernando de Amorim
Paris, le 8 novembre 2023

Depuis Freud, l’analyste interprète. En agissant de la sorte, il introduit inévitablement son Moi dans l’interprétation. D’où l’importance que l’interprétation soit reconnue comme symbolique quand la parole est le fruit des associations libres et que la parole vraie tombe de la bouche du psychanalysant. En introduisant l’interprétation imaginaire, celle contaminée par le Moi, Freud éloigne la psychanalyse de son projet scientifique.

Mon intention n’est pas de juger Freud mais de signaler que, pour faire science, il faut éloigner le Moi de l’opération clinique. De même quand il est question de départ précipité d’une patiente de la cure – Dora en l’occurrence. Il ne s’agit pas de départ précipité mais d’abandon de la cure par la patiente.

La psychanalyse appliquée est une tentative de Freud de prouver la présence de l’inconscient hors de la clinique. Aujourd’hui, ce genre d’opération n’est plus nécessaire. La psychanalyse ne sert qu’à la clinique des êtres humains en état de souffrance psychique, corporel ou organique. Il n’y a pas d’écoute psychanalytique dans la « psychanalyse appliquée », il y a la présence du Moi de l’analyste.

L’être souffrant sait, le Moi de la personne souffrante ignore. De là la responsabilité du clinicien de se taire. En revanche, si ce dernier estime nécessaire d’interpréter, il le fait en sollicitant la validation de l’intéressé. Si celui-ci confirme, la route clinique est la bonne, s’il refuse, le clinicien induit la cure sur une fausse route.

Le corps ne parle pas, il s’exprime sous forme de signifiants corporels : formule que j’avais utilisée en m’appuyant sur la théorie lacanienne pour mettre en évidence que le clinicien ne doit pas négliger les expressions du corps. Une telle technique est déjà présente chez Freud.

Même si je reconnais la valeur du traumatisme et surtout du trauma, ces deux registres ne doivent pas faire oublier au clinicien que le premier comme le second peuvent être utilisés – et le sont constamment – pour voiler à l’être sa condition de manquant et son histoire première avec l’objet rien.

Un psychanalyste n’est ni un archéologue, ni un détective, ni un historien et, surtout, il ne devine pas. Pour éviter ces métaphores malheureuses, j’avais proposé de transposer toute l’expérience psychanalytique vers une image aquatique. Depuis sa naissance, la psychanalyse est lue par des terriens criant depuis la falaise leurs instructions au malade ou au patient, dans le cas des psychothérapies, ou au psychanalysant, dans les cas d’une psychanalyse, qui se débattent sur les flots.

Le psychanalyste n’interprète pas. Celui qui interprète c’est l’Autre barré. Le psychanalyste est dans la position du chien toléré par la gérance, selon les dires du poète. Il est, par son silence, cet objet qui occupe une position de support pour le transfert, dans la position de l’animal domestique vieux et édenté qui reste à longueur de journée dans une position de mort.

Celui qui déduit du matériel onirique c’est le psychanalysant lui-même une fois qu’il a effectué le travail d’interprétation du rêve. Ce travail consiste à 1. faire le récit du rêve ; 2. prélever une scène et 2a. dégager un mot pour nommer cette scène et ainsi de suite ; enfin, 3. construire une phrase à partir des mots dégagés des scènes, en ayant le droit de changer les mots de place mais sans conjuguer les verbes. Une fois la phrase construite, le clinicien demande si cette phrase interprète le rêve. Si oui, le clinicien prie le psychanalysant de reprendre les associations libres, sinon le clinicien sollicite le psychanalysant pour qu’il continue à associer librement à partir de la phrase.

La fonction du travail du rêve est de faire avancer la cure et de rectifier la route de la cure. La psychanalyse en tant que science met en place des dispositifs techniques et méthodologique pour que l’être devienne sujet.

La névrose, comme la psychose et la perversion, sont des structures, elles sont donc inénarrables. Ce qui compte pour le clinicien n’est pas la structure mais ce qui fait souffrir l’être. Il doit poser le diagnostic structurel pour conduire la cure et non pour guérir le psychanalysant. La guérison de ce dernier ne vient pas « de surcroît » (formule absurde en plus d’être lâche cliniquement) mais parce que le désir du psychanalysant est de construire sa responsabilité de conduire aussi sa destinée, indépendamment de sa structure.

Le clinicien n’a pas à écrire l’histoire du cas. Cette fonction revient au sujet. Si Freud a utilisé cet artifice, c’était pour justifier ce qu’il avait mis sur pied. Retourner à Freud pour critiquer méchamment ses efforts est ignoble. La fonction du psychanalyste est de lire Freud et de corriger ses calculs cliniques, ses errances dans la conduite de la cure pour rendre scientifique la psychanalyse et non répéter ses dires, ou ceux de Lacan, Bion, Klein, tel un perroquet. Une telle posture ne rendra pas la psychanalyse scientifique mais donnera l’impression qu’il s’agit des disciples d’une nouvelle croyance, voire d’une nouvelle religion. Ce qui est loin d’être le cas.

Le clinicien n’interprète pas, mais il ne traduit pas non plus. Cela est aussi à la charge du sujet.

L’interprétation du rêve n’est pas une enquête analytique mais une des techniques psychanalytiques pour propulser la cure vers l’avant ou rectifier sa direction.

Freud recollait, cherchait à combler les lacunes du discours des patients parce qu’il était le premier, comme El Cano, à ouvrir la voie de la psychanalyse pour le commun des mortels. Aujourd’hui, grâce à Lacan, je mets en évidence le rien comme objet originaire d’une psychanalyse. Quand l’être reconnaît l’objet perdu, la scène primitive et qu’il sort de psychanalyse, cela signifie qu’il est dans la position de sujet, dans la position dans laquelle il était quand il est né, à savoir : seul et sans rien pour le soutenir. C’est en mangeant son rien, dans la position de sujet, qu’il pourra construire sa responsabilité de conduire aussi sa destinée.

La psychanalyse n’est pas porteuse d’un savoir refoulé. La psychanalyse n’a aucun savoir. La psychanalyse conduit le psychanalysant à bon port ou à bon mouillage parce que l’être ne peut pas traverser l’océan inconscient à la nage. Celui qui a un savoir c’est le psychanalyste, son savoir, construit à partir de sa position de sujet l’autorise à l’écoute psychanalytique. Il a des connaissances de la conduite de la cure, il sait reconnaître le moment de lever la séance, de parler, de se taire, de reconnaître le passage du fauteuil vers le divan, le moment de la sortie de la cure, le comportement à adopter au moment de l’accostage du bateau nommé psychanalyse. Son savoir vient de sa psychanalyse personnelle, sa connaissance vient des théories de ses prédécesseurs – Freud, Lacan, Klein, Winnicott, Bion, – qui ont construit des théories et non des psychanalyses. Celui qui construit une psychanalyse c’est le psychanalysant. Sa psychanalyse, son bateau sera abandonné sur la plage où il aura débarqué lorsqu’il aura quitté la navigation pour marcher selon ses moyens, en tant que sujet. Personne d’autre ne pourra utiliser son bateau. Il est unique, comme son constructeur.

L’inconscient n’a pas de manque, il est manque, il est inaccessible. Il n’y a pas de pont à faire avec l’inconscient. Sur le bateau, le psychanalysant rame. Ce qui propulse le bateau ce n’est pas l’inconscient, c’est le rien entre l’eau et l’air transpercé par la rame pour faire mouvoir le bateau grâce au désir du psychanalysant. C’est cet espace nommé « objet rien » qui fait que le bateau avance. Ce que j’avance est la matérialisation de ce que Freud avait appelé association libre.

À chaque parole, une perte ; à chaque élocution, une séparation d’avec l’Autre ; à chaque mot, l’intimité avec le vide ; à chaque tirade, la reconnaissance du manque ; à chaque radotage, l’être se fait reconnaître comme étant ce rien. C’est cela l’association libre. De là la difficulté du psychanalysant à respecter la règle fondamentale, de là l’intérêt que le psychanalyste veille au grain.

Se reconnaître comme étant ce rien.

Désespérant ? Pas du tout.

L’être a vécu dans l’aliénation toute une vie, caché sous les jupes du Moi qui faisait semblant que tout allait très bien Madame la Marquise, jusqu’à ce qu’une perte le réveille à sa vérité première.

C’est en devenant sujet qu’il sera quelqu’un. L’être accouplé au Moi est avant tout objet de l’autre, un être-objet, voire une chose.

Il était un être qui respirait, qui parlait, qui tombait malade, parfois amoureux, qui jouait au golf ; bref, des divertissements, des distractions utiles au Moi pour passer le temps avant la mort, évitant ainsi la castration d’avec le Moi et sa charge éthique de construire sa responsabilité de conduire aussi sa destinée.

Une psychanalyse est une naissance symbolique où l’être a affaire à la responsabilité et non à la soumission.

Si Freud fait à ses lecteurs la prière de croire à ce qu’il transmet comme information clinique, interprétation de rêve et théorisation qui en découle, le psychanalyste d’aujourd’hui n’a plus besoin de ce stratagème. Il n’a aucun devoir de croyance dans ce que raconte Freud, Lacan ou l’auteur de ces lignes. Faire science n’est pas suivre la théorie de Freud ou de ses successeurs, c’est vérifier la validité de ces théories avec le discours du psychanalysant d’aujourd’hui. Chaque remarque clinique doit être examinée jusqu’à ce qu’un discours vrai apparaisse. Le discours doit être traité avec la même exigence que celle du physicien ou du biologiste. Avec douceur mais avec rigueur.

L’analyste a pris ses aises en parlant sans se soucier d’apporter les preuves de ses dires. C’est pour ça d’ailleurs qu’il s’est accommodé, au détriment de la psychanalyse, à la position d’analyste.

Le refoulement est une opération mise en place par le Moi pour repousser l’inconscient (libido) structuré comme un langage (signifiant) quand ce dernier, le signifiant, se re-présente, se présente à nouveau à la conscience. Ce retour du refoulé est un processus constant. La libido, sous forme d’affect, d’acte, traverse le Moi, pas le signifiant. Ceci pour dire que l’inconscient n’est pas le refoulement. Le refoulement est l’opération du Moi, l’inconscient est ce qui insiste, persiste et ne se désiste pas. Jusqu’au dernier souffle.

Le psychanalyste doute tout le temps, à chaque séance, de manière scientifique. Il ne cherche pas la crédibilité, ni sociale, ni celle des autres disciplines. Il cherche sa propre crédibilité dans ce qu’il fait tous les jours. Enfin, il cherche à donner une crédibilité à la psychanalyse parce qu’il pense, preuve à l’appui, qu’elle – sauf erreur, erreur scientifique et non affective – mérite d’être traitée avec la considération qui est donnée à une science.

Les preuves de la scientificité de la psychanalyse passent par la clinique, clinique dont seul le sujet (donc à la sortie de psychanalyse) pourra témoigner si le voyage lui fut salutaire ou non.

Il n’y a pas ici de surcroît, de suggestion, ou autre stratégie imaginaire : il y avait de la détresse au début de la psychanalyse, maintenant il y a solidité. Cela vient-il de la psychanalyse ? Oui, donc elle fonctionne. La psychanalyse a-t-elle échoué ? Quelle est la part de responsabilité du praticien ? Et celle du psychanalysant ?

Quelle est la limite de la psychanalyse ? Aller au-delà du désir de l’être. C’est au-delà de ce dernier que la position de sujet est possible. Il faut dire que, parfois, l’analyste propose au psychanalysant de stationner, de ralentir son engagement avec le désir. Je pense que comme l’analyste n’a pas eu le courage de continuer sa psychanalyse en s’identifiant à son propre analyste, il ne sait pas comment faire, ou il ne supporte peut-être pas que le psychanalysant ait autant de courage pour aller au-delà des sentiers battus. Il ne faut pas uniquement du désir pour devenir psychanalyste, il faut aussi le courage de désirer.

Beaucoup de philosophes, épistémologues, psychologues, psychiatres et même psychanalystes ont prédit que la psychanalyse allait devenir une psychologie, une philosophie, une mythologie et même qu’elle allait disparaître. En regardant d’un œil distant ces oiseaux de mauvais augure, mon regard se tourne vers les psychanalysants. C’est grâce à eux que la psychanalyse navigue encore.

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